Photographe Montréal - ¿Y ahora, Cuba? Photographe Montréal - ¿Y ahora, Cuba?

¿Y AHORA, CUBA?

En mars 2016, le président américain Barack Obama foule le sol cubain, et le monde entier est convaincu que cette visite historique à la Havane marquera la fin de 60 ans de guerre froide. Le réchauffement diplomatique avait débuté quelques mois plus tôt avec la réouverture de l’ambassade des États-Unis à Cuba, signe évident de l’assouplissement du régime des frères Castro. Le rapprochement se concrétise alors par une augmentation considérable du trafic aérien entre les deux pays, le retour des touristes américains, et l’implantation des premières multinationales.


Cependant, Obama pointe sans ambiguïté les faiblesses démocratiques du régime en place, et il n’hésite pas d’ailleurs, lors de sa visite, à rencontrer un groupe de dissidents cubains, dont Berta Soler, la chef de file des Dames en Blanc (Las Damas de Blanco).


Désormais branchés à Internet grâce aux hot spots qui se multiplient dans les rues de la Havane et des grandes villes de l’île, les Cubains se reconnectent au monde. Ils adoptent plus que jamais les codes culturels de l’occident. Bien qu’inaccessibles encore, des produits de consommation des grandes marques font progressivement leur apparition, et après 60 ans de révolution, l’espoir du changement et de la prospérité souffle sur Cuba, avec en filigrane, une fascination évidente pour l’american way of life.


Fidel Castro meurt à la fin de 2016, et au cours d’un deuil national de 9 jours, le peuple cubain, privé de musique et d’alcool pour l’occasion, salue une dernière fois, dans le respect, le commandant en chef de la Révolution. Malgré l’espoir des derniers mois, on peut lire l’inquiétude sur les visages, et chacun se demande de quoi sera fait le Cuba d’après Fidel. Une inquiétude à laquelle est venue s’ajouter un paramètre aussi inattendu que préoccupant : l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche.


Avec le départ annoncé de Raul Castro et l’arrivée d’un jeune président né après la révolution, 2018 devait être l’année de tous les espoirs, du renouveau, et de la transition. Mais le nouveau président américain, dès les premiers mois de son mandat, a annulé l’accord signé entre Castro et Obama. Miguel Diaz-Canel, le premier président de l’après-Castro, présente de faux airs de modernité, et semble, au contraire, confirmer qu’il est issu de la branche dure du régime.


Alors Cuba se retrouve une nouvelle fois figée. Non plus complètement figée dans le passé comme lors des dernières décennies, mais figée dans le présent, prise entre une révolution qui refuse de finir, et un avenir sous forme de rêve américain qui semble à nouveau hors de portée. Un présent marqué par l’amertume populaire et une certaine apathie, où on va sur Internet pour s'étourdir et oublier, plutôt que pour faire bouger les lignes, bouillir les idées, et participer à la marche du monde.


En novembre 2018, deux ans après la mort de Fidel et 6 mois après l’élection de Diaz-Canel, je suis retourné à la Havane pour faire le point sur cette transition que je documente depuis 2011.


Dès les premiers instants sur l’île, on m’a mis en garde : rien ne change ici, et rien n’est près de changer. La consultation populaire autour de la future constitution n’est qu’une mascarade, les salaires n’excèdent toujours pas 30 pesos CUC (40 $CAD), et trouver de la nourriture est redevenu presqu’aussi difficile que lors de la période spéciale qui a suivi la chute de l’URSS. Nos maisons tombent en ruine et s’effondrent littéralement sur nous, et les quelques privilégiés, qui ont réussi à élever leurs revenus grâce aux réformes économiques de Raul Castro, s’en vont dépenser leur argent au Panama, qui offre des visas gratuits pour des séances de magasinage exemptes d’embargo.


Pendant ce temps, la plupart des Cubains se débattent quotidiennement dans une économie souterraine de survie, avec résilience et ingéniosité, comme ces jeunes de la Havane qui piratent le signal Internet du gouvernement, et qui le revendent en créant des réseaux WIFI privés. Que ce soit le signal Internet ou la farine des boulangeries d'état, les Cubains refusent de parler de vol, ils ne font que reprendre ce qui leur revient.
Au cours de ce premier séjour dans le Cuba post-Castro, j’ai observé et photographié cette réalité quotidienne, et le désarroi des Cubains qui voient s’éloigner encore toute perspective de renouveau.


Avant de partir, j’ai voulu rencontrer l’activiste Berta Soler, la leader des Dames en blanc qu’Obama avait rencontré en 2016 à la Havane. Mais à peine descendu du taxi, j’ai été arrêté par des policiers en civil de la Direction de la Sûreté de l’État qui avaient intercepté mes appels téléphoniques. J’ai été détenu et interrogé pendant près de 12 heures, avant d’être relâché et remis dans l’avion pour Montréal. Les autorités cubaines m'ont confisqué toutes les photos prises lors de mon séjour, sauf quelques-unes qui ont échappé à leur vigilance.


Le projet sur lequel je travaille depuis 7 ans s’interrompt donc brusquement, pour une période dont j’ignore la durée. Au-delà de ce reportage, mon arrestation témoigne d’une crispation inquiétante à Cuba, sur fond de repli sur soi, de retour à la guerre froide et à ses méthodes brutales.

Deux ans après la mort de Fidel Castro, l’espoir s’est envolé à Cuba. L'utopie se dissout, le temps s'étire, et c'est la résignation qui l'emporte, encore.

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